Avant d'inspirer la terreur et de devenir un des démons du
Moyen Age, le loup, craint pour sa sauvagerie mais admiré
pour sa force et son adresse, joua un rôle dans de nombreuses
mythologies.
Les Romains le consacrèrent à Mars, dieu de la Guerre,
qui fit nourrir par une louve les jumeaux Remus et Romulus,
fondateur de la Ville éternelle, et en firent un des
emblèmes de la légion romaine. Si, lorsqu'un loup pénétrait
dans le temple de Jupiter ou dans le Capitole, les Romains
purifiaient la ville entière, ils considéraient néanmoins,
aux dires de Pline, qu'apercevoir sur sa droite un loup
ayant la gueule pleine était un des présages les plus
favorables. A Rome toujours, de la graisse de loup frottée
sur la porte de la maison des nouveaux époux leur portait
bonheur. Dans l'ancienne Germanie, où les guerriers
se nourrissaient de loup pour acquérir ses qualités
(force, rapidité, endurance), l'animal fut également
l'attribut du dieu de la Guerre scandinave Odin : un
des frontons du Walhalla, séjour des guerriers les plus
valeureux morts au combat, était orné d'une tête de
loup. Selon la mythologie scandinave, "la fin du monde
surviendra le jour où les deux puissants loups lancés
à la poursuite de la lune et du soleil parviendront
à les dévorer. Ces fauves sont deux des nombreux loups
nés de l'accouplement d'une sorcière de la Terre et
du loup Fenrir. Celui-ci, enchaîné par les dieux, une
épée en travers de la gueule, se délivrera lors du Crépuscule
des Dieux, annoncé par une guerre mondiale et un tremblement
de terre : il engloutira alors dans sa gueule crachant
des flammes le dieu Odin et son cheval Sleipnir, avant
d'avoir lui-même la mâchoire écrasée par Vidarr le Silencieux".
Parce que son regard transperce les ténèbres et qu'il
se met en chasse au lever du jour, les Egyptiens l'associaient
au culte solaire : Upuaut, dieu loup, guidait la barque
de Rê. Les Grecs le consacraient au dieu de la Lumière,
Apollon, appelé parfois Apollon Lokogénès ("né du loup")
parce que sa mère Léto, enceinte de Zeus, aurait rencontré
un loup pendant sa grossesse. Apollon, tout comme sa
soeur jumelle Artémis, était invoqué pour protéger les
troupeaux contre ces fauves.
Au Moyen Age, dans tous l'Occident chrétien, le loup devient
l'animal le plus redouté. Pour les démonologues, le
loup, synonyme de de sauvagerie et de cruauté (la louve
symbolisant pour sa part la débauche ou le dévergondage),
est l'incarnation du diable, et de tous les animaux,
celui dont il préfèrait prendre l'apparence, notamment
pour présider le sabbat. Pour aller au sabbat, les sorciers
se transforment en loups et les sorcières portent des
jarretières en peau de l'animal. En Espagne, il est
la monture des sorciers qui le chevauchent la tête tournée
vers sa queue sur laquelle ils ont placé une chandelle
pour éclairer le chemin. On a accusé certains sorciers,
et de nombreux bergers, de rassembler des loups pour
commettre des forfaits. Parmis les magiciens capanles
de se faire obéir et suivre des loups, le meneur de
loups, soupçonné également de se changer en loup-garou,
était le plus craint car il avait le pouvoir de les
envoyer dans les bergeries et les pâtures pour dévorer
les moutons. En Normandie, on le reconnaît à ses gants
rouges et au fait qu'il ne prononce pas un mot. Le meneur
de loup frappe parfois, la nuit tombée, à la porte des
fermes isolées; qui lui refuse l'hospitalité court le
risque de voir décimer tout son troupeau. On mentionne
l'éxistence de loups sataniques dans de nombreuses régions
: en Ardenne avec le loup blanc, a Bayeux avec le grand
loup noir. Rappelons que la bête du Gévaudan, créature
mystérieuse et cruelle qui fit des ravages à la fin
de XVIIIème siècle dans la région du Massif central
(cent personnes tuées entre 1764 et 1767) ressemblait
à un loup.
Les contes, le décrivant comme le mangeur d'enfants par
excellence (notamment le célèbre Petit Chaperons rouge)
et des créatures sans défense (comme la chèvre de Monsieur
Seguin), n'ont pas amélioré sa réputation. Sans oublier
que le mythe de loup-garou renforçait son caractère
maléfique.
Cependant, les rapports entre les hommes et le loup n'ont pas été
uniquement fondés sur la haine, et bien que la croyance
générale en ait fait une créature diabolique, les Amérindiens,
quand à eux avaient une vision bien différente du loup
: Dans la mythologie des Ojibwas, ce sont les loups
qui ont appris à chasser à Nanabush, fils du Vent d'ouest
et d'une mortelle. Il apprit leurs méthodes, mais aussi
le tabou interdisant de tuer inutilement le gibier.
Comme Nanabush était incapable de suivre la meute qui
poursuivait un caribou, il fut laissé avec Tooth, le
petit-fils de la louve qui menait la meute. Elle leur
dit d'aller chasser l'élan dans la vallée mais de ne
prendre que la viande qu'ils pourraient manger. Grisés
par la chasse, ils oublièrent la mise en garde de la
louve. Pour les punir, Manitou, le Grand Esprit, se
lança à leur poursuite. Tooth, le jeune loup impétueux,
fut pris et tué, mais Nanabush vola la peau de Tooth
aux esprits. Comme il était lui-même un demi-dieu, il
ramena le loup à la vie. Tooth avait parcouru les chemins
de la mort et il en instruisit Nanabush afin qu'il transmette
ce savoir à son peuple. Lorsque Tooth lui eut décrit
les traîtres chemins du paradis, Nanabush le renvoya
au pays des morts où, depuis, il guide les âmes qui
entreprennent le voyage vers un monde meilleur. La légende
enseigne donc que le loup est notre frère, notre maître
en chasse, notre complice dans le crime et notre guide
vers le paradis. Cette légende confirme bien que l'homme
a peut-être beaucoup appris du loup.
Dès les origines, hommes et loups sont très semblables.
Ce sont des prédateurs placés au sommet de la pyramide.
Les tribus humaines et les meutes de loups sont formées
autour d'un noyau familial. une structure sociale rigide
et forte gouverne la société et organise la chasse (qui
est la condition de la survie de cette société). Les
chefs sont choisis parmi les plus astucieux ou parmis
les plus forts. La cohésion du groupe, l'ordre et la
discipline sont maintenus par divers rites complexes.
La légende des Ojibwas nous offre un point de vue non
européen qui tranche nettement avec les comportements
de haine envers le loup des civilisations occidentales.
Les Ojibwas et d'autres peuples aborigènes ont démontré
que les loups et les hommes peuvent vivre les uns à
côté des autres, et que les hommes qui n'ont pas pour
seule ambition de "conquérir" la nature comprennent
parfaitement la parenté qui nous relie à notre frère
le loup. Nulle part dans la mythologie des raborigènes
d'Amérique du Nord il n'y a un exemple de peur du loup.
